La catastrophe de Marcinelle, il y a aujourd'hui soixante neuf ans. 262 morts et seulement treize rescapés, tous de véritables miraculés, tant ce charbonnage du Bois du Cazier devint très vite un piège mortel... Parmi eux, Frans Lowie, homme ordinaire devenu un héros malgré lui. Un héros un peu embarrassant par la suite, aux yeux des autorités belges, à cause de son passé. Reprenant un texte déjà écrit pour une autre publication, je vous conte l'épopée tragique, mais salutaire de cet homme, véritable sauveur de deux autres de ses compagnons de travail, malgré la menace qui pesait aussi sur sa propre survie. En deux ou trois parties, car c'est un peu long... Frans Lowie, un héros ordinaire et une reconnaissance embarrassante…
8 août 1956, Frans Lowie est un mineur flamand qui travaille comme abatteur au Bois du Cazier, à l'étage 715-765 dans ce qu'on appelle " la taille des Flamands ", car les mineurs occupés à ce petit étage, devenu secondaire, sont pour les trois quart des Flamands.
Tôt le matin, chaque jour à Berg, il monte dans le petit autocar qui l'emmène, en compagnie d'une vingtaine d'autres, au Bois Du Cazier, pour le poste du matin qui débute à 7 heures. Avant de venir à Marcinelle, il a travaillé, comme d'autres de ses compagnons dans l'autocar, dans les mines du Limbourg. Mais c'était trop éloigné de son domicile, et puis, il ne supportait plus le climat social très dur, et le manque de considération dans ces mines pourtant bien plus modernes qu'en Wallonie… A Marcinelle, malgré l'archaïsme des travaux de fond, il a trouvé respect et considération de la part des supérieurs.
Ce matin-là, il est à peu près huit heures et il est à son poste depuis un peu plus d'une demie heure. Accroupi, les bras tendus et secoués par les vibrations, il s'attaque inlassablement à la couche de charbon, à l'aide son marteau pic pneumatique. Et puis subitement, ce marteau pic faiblit et finit par s'arrêter…. Lowie pense tout de suite à une panne momentanée de l'alimentation en air comprimé. Il en profite alors pour rassembler près de lui les bois qui lui serviront à étançonner son front de taille. Mais une odeur de bois brûlé et un peu de fumée lui parviennent après deux ou trois minutes. " ça arrivait souvent au Cazier ", dira-t-il plus tard… Car dans ce charbonnage, des travaux d'approfondissement ," un raval ", des deux puits est en cours, de même que le creusement d'un troisième nouveau puits. De temps en temps, des perturbations sans trop de conséquences se produisent. Lowie espère juste que ça ne durera pas trop longtemps, car il risque de ne pas " avoir son compte " en charbon abattu, surtout que son salaire journalier en dépend en partie….
La fumée ne disparaît pas, mais elle augmente, lui pique les yeux, le fait tousser et commence à l'incommoder dans sa respiration. Plus qu'une chose à faire, partir de là, et vite ! Comme bien d'autres, la taille où il travaille est en pente. Celle-ci est établie entre les étages 715 et 765. Malgré la faiblesse de sa lampe électrique portative, il voit bien que le flot des fumée vient de 765. Inutile de descendre plus bas pour fuir… il appelle son ami Louis Saluyt qui travaille plus bas. Pas de réponse, tant pis… Alors, tant bien que mal, il entame, de plus en plus essoufflé, la remonte de cette taille, à quatre pattes, dans une visibilité proche du nul. Enfin il parvient à ce qu'on appelle " La voie de tête " à l'étage 715. Là, d'autres hommes se sont rassemblés, en compagnie du Porion (contremaître) Josef Baumans, flamand comme eux tous. Tout le monde se demande ce qui peut se passer. Un autre râle " Mais qu'ils fabriquent encore les ravaleurs ? " (ouvriers chargés de l'approfondissement des puits). La fumée ne faiblit toujours pas…. Alors le porion Baumans finit par leur dire " Bon les gars, je ne sais pas ce qu'il se passe, mais à mon avis c'est grave ! On ne va pas rester assis à attendre qu'on vienne nous chercher, on sera mort avant ça. Alors on fout le camp d'ici et on va aux puits pour remonter, et vite !
La visibilité est proche du nul, pas moyen d'avancer dans cette obscurité sans trébucher…. " Allez, vous mettez une main sur la conduite d'air comprimé, ça va vous aider à avancer ! ". Les seize hommes entament donc péniblement leur retraite dans l'obscurité totale vers les puits, avec comme seul guide ce tuyau d'acier qui court le long de la galerie principale de l'étage 715. De temps en temps, Lowie pointe sa lampe vers le plafond de la galerie, il peut voir le flot de fumée qui reflue vers le puits d'air à la vitesse d'un torrent. Mais pas le temps de s'angoisser encore plus, il faut continuer à avancer avec les autres… Enfin, ils arrivent aux puits. 715 est le retour d'air de l'étage 765, donc logiquement il faut aller au puits de retour d'air car son accès n'est pas barré par une série de trois portes en bois. Mais non, il y a là, comme tous les matins un gros empilage de bois de mine, un tas haut d'un mètre cinquante sur trois mètres de long. C'est l'équipe de nuit qui a déposé ces bois qui servent à étançonner des tailles où on extrait le charbon. " Pas par-là " Lance le porion Baumans. " Au puits 1 ! ". C'est le puits d'entrée d'air dit " puits d'extraction ". Mais voilà, son accès est barré par trois portes en bois, afin d'obliger l'air à parcourir tous les travaux sans être court-circuité… Baumans, aidé par deux autres, ouvre la première porte. " Non de dieu, c'est encore pire ; encore plus de fumée ! " et il ordonne à ses hommes de tout de même gagner le puits de retour d'air… " Allez, faut grimper le tas de bois, tant pis ! ". Les hommes se mettent donc à escalader péniblement ce tas de bois. Mais Lowie commence à se sentir mal, il est de plus en plus intoxiqué par les fumées, il a le tournis. Son pied trébuche sur une taque en acier sur le sol de la galerie et il tombe évanoui au pied du fameux tas de bois…
Combien de temps il est resté là évanoui ? Il n'en sait rien… Lowie se réveille, l'esprit embrouillé avec une sensation tenace de tête lourde, mais il sent que ses forces reviennent petit à petit. Plus de collègues, plus personne n'est là, il n'entend plus de cris ou de paroles ! A son étonnement, il fait à peu près clair, le ciel de la galerie est éclairé d'une lueur orange qui fluctue. Il perçoit confusément un bruit de ronflement continu, comme du feu avec un puissant tirage et des craquements sporadiques, mais il est encore trop faible pour se relever et voir ce que ça peut être… Il ressent un poids sur ses jambes, et il découvre qu'il n'est pas seul ! Celui qui est étendu là, sur ses jambes, c'est Alphonse Van de Plas, un de ses collègues, dix-huit ans, le plus jeune de l'équipe. A son tour celui-ci se réveille également, mais paraît très faible. Lowie trouve la force de se relever, en jurant et en pestant contre lui-même. Et il inspecte les lieux en portant le regard au delà du tas de bois. Ce bruit de ronflement, cette lueur fluctuante, ces craquements, c'est le feu qui monte furieusement dans le puits de retour d'air ! Alors il revient auprès de son collègue Van de Plas et lui dit " Fonske, y a le feu dans le retour d'air. On ne peut pas rester ici, sinon on va mourir ! Allez debout, faut qu'on aille au puits 1. " Mais Van de Plas se sent trop faible pour se relever… " Non Frans, j'ai plus de force, tant pis, laisse moi ici ". Malgré qu'il est à peine mieux que son compagnon, Lowie le relève et le remet debout " Je ne vais pas te laisser ici et que tu vas crever tout seul, allez courage ! ".
Les deux hommes, titubants, Lowie soutenant Van de Plas, progressent péniblement durant plus de vingt mètres vers les trois portes qui les séparent de l'accès au puits d'extraction. Lowie tente d'ouvrir la première porte, mais il n'en n'a pas la force…. Heureusement, un wagonnet se trouve près d'eux. Ils le poussent le plus fort possible contre cette porte et parviennent à l'ouvrir. Ils la referment et décident de rester là pour reprendre un peu de forces avant d'ouvrir les deux portes suivantes qui leur donnera accès au puits d'extraction… En tous cas, il n'y a plus de fumées comme c'était le cas quand Baumans avait ouvert cette première porte… Dans ce réduit, il fait même froid. En tous cas, c'est ce que ressent Lowie, qui se met à claquer des dents. Fuyant la taille où il travaillait, il n'a pas pensé à reprendre sa veste et sa chemisette et est resté le torse nu… Van de Plas lui donne sa veste et il s'empresse de l'enfiler. La sensation de froid disparaît.
Que s'est-il passé ? Lowie n'a évidemment pas la réponse… Tout ce qu'il sait c'est " qu'il y a le feu à l'fosse ", que la ventilation qui s'était inversée vers huit heures, amenant des flots de fumées depuis l'étage 765, s'est rétablie ramenant de l'air chaud, mais respirable. C'est sans doute ça qui les a sauvés, lui et Van de Plas, juste à temps, avant de succomber à l'asphyxie ! Ses camarades ont-ils réussi à remonter par le puits de retour d'air, ou sont-ils restés bloqués à proximité de celui-ci ? Il n'en sait rien non plus…
Ils sont là depuis près d'une demie heure. Lowie se sent mieux, mais Van de Plas reste faible et s'endort souvent. Tout d'un coup, des craquements sinistres et des bruits de chute de pierres se font entendre. Le feu a sans doute progressé vers eux et provoque des éboulements ! " Fonske, tu entends ? Le feu arrive ! Tout s'écroule derrière la porte, faut pas rester ici, c'est trop dangereux ! " lance Lowie à Van de Plas. Les deux hommes se remettent debout et se servent à nouveau du wagonnet pour ouvrir les autres portes, qu'ils laissent se refermer derrière eux, sitôt franchies. Les voilà devant le puits d'extraction. Pas de fumées, seulement un air un peu chaud. Lowie saisit la poignée de la cloche d'appel pour demander la cage à la surface. Comme un fou, il sonne et il sonne, mais pas de cage qui se présente… il ne sait évidemment pas que le puits d'extraction est hors service, car c'est dans celui-ci que s'est produit l'incident qui a provoqué l'incendie vers les huit heures !
Craignant que les éboulements se propagent vers l'endroit où ils se trouvent, Lowie décide de renverser un wagonnet, le côté ouvert dirigé vers le puits, et de s'y abriter. Ils restent là et une heure ou plus se passe…. Les deux hommes, épuisés, sont tombés dans une espèce de somnolence, mais Lowie bien moins que Van de Plas, lui permettant ainsi de rester lucide et de pouvoir entendre. Subitement, il entend des cris et des coups qui sont frappés sur les portes qu'ils ont franchies auparavant. Dans un premier temps, Lowie croit avoir rêvé… Mais non, les coups et les cris redoublent, deviennent distincts. Il y a un homme qui appelle à l'aide au delà des portes ! " Fonske, écoute, y a quelqu'un qui tape sur les portes, faut qu'on aille le chercher ! ",mais Van de Plas reste plongé dans un demi sommeil… Alors, se disant que son compagnon n'est plus très lucide, et qu'il risque de tomber dans le puits, le temps qu'il s'absente pour aller au secours de celui qui tape des poings sur la porte, Lowie le relève et l'emmène avec lui. Seul, il réussit à ouvrir les portes. Sitôt la dernière ouverte, il découvre là un homme, Alphons Vereecken, le pantalon déchiré et les jambes rougies par d'atroces brûlures. Cet homme est fou de panique. Il a dû se réveiller comme les autres, peut-être lorsqu'il a ressenti la vive douleur du feu lui brûlant les jambes. Il était temps ! Lowie voit devant lui un énorme incendie qui ravage les abords. Sans demander son reste, il entraîne ses deux collègues vers le wagonnet renversé près du puits. Pour cela, il lui faut déployer une force quasi surhumaine, car lui aussi est affaibli…



 
 
 
8 août 1956, au charbonnage du Bois du Cazier à Marcinelle, Frans Lowie, un homme ordinaire devenu héros malgré lui (2).voir mon premier post ci avant avec le début de ce récit.
Les voilà revenus, abrités dans le wagonnet… Les heures passent. Il faut épargner les lampes. Heureusement tous l'ont conservée. Lowie en éteint deux. Une seule suffira, surtout qu'il pense bien qu'on ne viendra pas les secourir de sitôt. Une fois éteinte, on rallumera la deuxième… Ses deux compagnons sont souvent plongés dans une espèce de sommeil profond. Lui pas… De temps en temps, ils se réveillent, se mettent à délirer, bredouillant des paroles incompréhensibles. Fréquemment, Vereecken gémit et pleure de douleur, tant ses profondes brûlures lui font mal. C'est seulement son sommeil qui atténue quelque peu ses souffrances. Lowie entend le bruit continu de l'eau qui tombe dans le puits. C'est d'ailleurs le seul bruit audible dans ce lieu sombre… Il commence à désespérer et lorsqu'il pense à son épouse et à son petit garçon, les larmes lui coulent sur le visage. Petit à petit, il se résigne à la mort. Il en arrive à envier les deux autres qui demeurent dans leur profonde torpeur… Evidemment, il ne sait pas qu'à la surface, on déploie des efforts acharnés pour atteindre les travaux de fond. Les deux puits en feu, le troisième en creusement, ne donnant qu'un accès limité par un trou d'homme ménagé dans un murage qui a été fait aux étages 765 et 835, afin de protéger les travaux de fond de possibles dégagements de grisou. Deux trous d'homme qu'il faut agrandir absolument, car ils ne permettent pas le passage de sauveteurs munis de leurs appareils respiratoires. Cela va prendre des heures et des heures… Lowie ne sait pas non plus qu'une équipe d'ouvriers de surface a redoublé d'efforts afin de pouvoir remettre en service une des deux cages du puits d'extraction, dont l'incendie a pu être limité au niveau de 870 mètres par un arrosage intense. C'est d'ailleurs ce flot d'eau que le mineur flamand entend dans son attente désespérée…
Et puis soudain, il perçoit clairement le bruit d'une cage qui se déplace dans le puits ! Cette cage finit par s'arrêter au niveau où il se trouve, lui et ses collègues. Alors Lowie se met à hurler " par ici, par ici ! ". Du moins le croit-il… Car il est tellement épuisé que ses cris ne sont plus qu'un faible murmure. Néanmoins, une lueur plus vive apparaît, éclairant l'intérieur du wagonnet. Cette lueur, c'est la lampe fixée sur le casque d'Adolphe Calicis, l'ingénieur directeur des travaux du fond. Il est accompagné par Angelo Galvan, chef porion de l'équipe de nuit, ainsi que d'un sauveteur de la centrale de sauvetage minier de Marcinelle. Calicis s'adresse à Lowie " où sont votre autres collègues ? ". " Andere camaraden achter de deur " répond celui-ci en flamand d'une voix faible. Alors Calicis va vers les portes séparatrices, les ouvre une à une et se retrouve face à un incendie " d'une ampleur exceptionnelle " comme il le dira par la suite. Il ne peut que les refermer... Pour les treize autres collègues des trois mineurs rescapés, il est trop tard. Et il y a peu de chances qu'ils puissent avoir réussi à fuir l'incendie du puits de retour d'air. Ils sont sans doute morts asphyxiés par le flot de gaz mortels avant d'être brûlés… Ce n'est que bien des mois plus tard, à l'occasion du dégagement des nombreux éboulements dans les travaux de fond, qu'on retrouvera leurs restes complètement carbonisés. Peu seront d'ailleurs formellement identifiés…
Calicis prend dans ses bras Van de Plas, le plus jeune et se place dans un des étages de la cage. En leur compagnie, Lowie, qui trouve encore la force de monter par ses propres moyens. Les autres se chargent de Vereecken dans un autre étage. Quatre coups de cloche " hue pour le jour " donnés par un de cette équipe de sauveteurs. La cage démarre de cet étage 715. Elle se déplace lentement et est agitée de saccades brusques. " Normal ", l'autre cage n'est plus là pour faire contrepoids… (Dans tous les puits de mine, il y a au moins deux cages, quand une monte, l'autre descend…). Cette autre cage, elle est coincée, déraillée à l'étage 975. C'est parce qu'elle a été chargée " clandestinement ", avec, comble de malchance, deux wagonnets qui dépassaient de son gabarit, suite à un couac mécanique, qu'elle est partie de cet étage, arrachant tout sur son passage, y compris une conduite d'huile, une conduite d'air comprimé et deux câbles de 600 volts, qu'elle a provoqué cet incendie tragique… De ce déplacement saccadé de la cage survivante, Lowie n'en n'a cure. Après tout ce n'est qu'un détail par rapport à ce qu'il a vécu au cours des heures précédentes. Dans la faible lueur des lampes personnelles, il voit le visage décomposé de l'ingénieur Calicis, prostré, qui pleure d'émotion, tenant le jeune Van de Plas dans ses bras. Cet homme, pourtant aguerri par des années et des années de mine, se rend sans doute compte de l'ampleur du drame qui se déroule, d'autant plus, de par la responsabilité qu'il a, en tant que directeur des travaux… (ndlr, Calicis qui bien qu'étant ingénieur directeur des travaux du fond, n'était qu'un " simple exécutant " aux ordres de la direction ; Il sera, au terme du procès qui suivra , LE SEUL condamné, ce qui le marquera et le brisera pour le restant de sa vie…).
La cage arrive au jour. Un jour baigné d'un soleil d'été qui accueille Lowie, au sortir de cet enfer. Celui-ci trouve, étonné, une cour du charbonnage ou se presse une foule de journalistes, de sauveteurs, d'ouvriers, d'infirmières et d'ambulanciers. Il rit à la joie de retrouver la surface. On l'emmène brièvement vers une infirmerie improvisée dans le vestiaire. On lui tend une bouteille de lait qu'il boit goulument, tant sa soif était intense, après toute ces heures passées au fond à lutter pour sa survie. Mais déjà, il est emmené en ambulance vers ce qui deviendra par la suite la Clinique Reine Fabiola à Montignies sur Sambre. C'est en fait la clinique de la Caisse des Assurances des Charbonnages du Bassin de Charleroi…
Une fois parvenu à cet hôpital, Lowie est emmené dans une salle où on le lave, le débarrassant de toute cette suie et cette poussière de charbon collées à se peau. Ensuite, on le conduit dans une chambre, où il retrouve son collègue Van de Plas. Le calme, enfin ! Mais, il ne le sait pas, pour lui et ses compagnons, un autre calvaire va commencer…
Vient la nuit, où il espère qu'il trouvera un repos bien mérité. Mais non… l'adrénaline qu'il conserve en lui, après toutes ces heures de lutte pour sa survie, l'empêche de trouver un sommeil réparateur. Dans les rares moment où il s'assoupit, sporadiquement, il a l'affreuse vision de l'incendie face auquel il s'est retrouvé, avec en plus une autre, où il voit ses camarades de travail qui brûlent vifs dans ce feu. Cela hantera par la suite bien des nuits du reste de son existence… Et puis vient enfin le matin. L'anxiété ne l'a pas quitté. Pourquoi sa famille n'est-elle pas là, alors que celle de son collègue Alfons Van de Plas est déjà arrivée au chevet de celui-ci ? Et puis, qu'est devenu son meilleur ami, Louis Bidlot, du même village que lui, et qui travaillait aussi au mêmes étages 715-765 du Cazier ? Pas de réponses, il se sent abandonné de tous, même de ses proches…
Enfin, dans l'après-midi de ce 9 août, il voit avec joie son épouse, son fils et ses beaux- parents entrer dans la chambre d'hôpital. Ceux-ci, apprenant la catastrophe par la radio et par des voisins, ont pris avec précipitation le chemin de Marcinelle, ont attendu des heures durant devant la grille du charbonnages, comme tant d'autres proches des autres disparus. Ce n'est qu'au cours de la nuit qu'ils ont appris que Frans Lowie était sain et sauf…
Encore deux ou trois jour d'hospitalisation, et il peut enfin sortir, accompagné de sa famille. Avant de rentrer chez lui à Berg, il veut à tous prix aller au Bois du Cazier, car il veut récupérer ses vêtements civils laissés " à la salle des pendus " le matin du 8 août, et puis savoir ce qui s'est passé, et savoir si son ami Louis Bidlot est remonté vivant ou non… Une fois franchies les grilles du charbonnage, quelques ouvriers et sauveteurs lui expliquent l'accident, la cage chargée à l'étage 975 du puits 1 par Antonio Ianetta, alors qu'il n'en était pas autorisé. Les wagonnets, un plein entrant, devant normalement chasser l'autre vide, mais le blocage qui se produit, le démarrage brutal de cette cage avec les deux wagonnets qui engagent le gabarit, et qui arrachent tout sur leur passage, l'incendie intense qui suit. Le feu qui passe en moins d'une heure d'un puits à l'autre, rendant impossible toutes descentes immédiates, et puis les heures passées à réparer, tenter de descendre par le puits où s'est produit cet accrochage, une première descente avortée à cause de la chaleur intense, brûlant même ceux qui avait pris place dans l'unique cage remise en fonction. Et puis l'arrivée, étape par étape à l'étage 715, où on l'a retrouvé vers les seize heures, lui et ses deux autres collègues cachés sous un wagonnet près du puits… Une autre descente, celle-là par le nouveau puits, où enfin on a pu agrandir le passage de la communication vers travaux de 765, et où on trouve trois autres de ses collègues, fortement intoxiqués, dont Louis Saluyt, que Lowie avait appelé, mais sans réponse, lorsque les fumées avaient atteint la "taille des Flamands" Mais on lui annonce aussi qu'on a retrouvé le soir de ce 8 août, son meilleur ami Louis Bidlot mort à ce même étage 765. Cela le terrasse de tristesse et de chagrin. Et puis il rentre chez lui à Berg. La famille, les voisins le pressent de questions. Il reçoit aussi la visite de plusieurs journalistes, et il peut enfin pouvoir se reposer, du moins le croit-il… La suite de son histoire dans un troisième et dernier post qui va suivre.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Textes de Gilles Durvaux copiés sur sa page Facebook